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Journal du Barreau de Marseille

numéro 1 - 2017

41

CHRISTIAN BAILLON-PASSE

CE, 6 FÉVRIER 2017,

LIGUE DE PROTECTION DES OISEAUX

Comment peut-on imaginer qu’unministre puisse

ordonner aux services de police de ne pas sanc-

tionner des actes de chasse illégaux ? C’est pour-

tant cela qui est à l’origine de cette décision. La

ministre de l’Environnement avait ordonné aux

services de ne pas verbaliser les chasseurs tirant

les oies cendrées au-delà de la date limite du 31

janvier fixée en exécution d’une directive euro-

péenne et d’un arrêté du 19 janvier 2009. L’ordon-

nance donne un éclairage intéressant tant sur la

condition d’urgence que pour ce qui concerne le

pouvoir répressif duministre:

Concernant la condition d’urgence exigée par l’ar-

ticle L 521-1 du CJA le juge estime que la modicité

des populations d’oies susceptibles d’être chassées

durant les 4 jours séparant la date à laquelle le

juge statue de l’expiration du délai fixé n’empêche

pas de caractériser l’urgence au regard

du trouble à l’ordre public.

Concernant le pouvoir répressif d’un mi-

nistre, il rappelle que s’« il est loisible à lami-

nistre d’édicter des lignes directrices gouvernant

l’exercice du pouvoir répressif, et notamment d’in-

viter les agents chargés de la répression des actes

de chasse illégaux à privilégier dans une certaine

mesure des admonestations pédagogiques envers

les contrevenants à la réglementation, sans ex-

clure absolument toute action répressive selon les

circonstances, lemoyen tiré de ce que l’instruction

hiérarchique donnée de ne pas appliquer la loi et

de ne pas sanctionner les infractions constatées

aux dates de fermeture de la chasse aux oies est

dénuée de toute base légale et entachée d’erreur

de droit apparaît, en l’état de l’instruction, sérieux

et de nature à entraîner la suspension de la déci-

sion attaquée ».

CE, 27 JUIN 2016

Petit retour sur 2016. Un arrêt illustre

comment à l’occasion de questions très

juridiques et complexes (acte de gouver-

nement, principes de la responsabilité de

l’État) le juge administratif est contraint

de prendre position sur l’Histoire et…de

l’écrire à son tour ? Contrairement à l’his-

torien qui reconnait qu’il ne peut in fine

rester tout à fait neutre et objectif, le juge

doit lui, en principe, se révéler parfaite-

ment étranger à la polémique historique.

Ce n’est pas en effet ce que l’on demande

au juge pas plus qu’au législateur (se sou-

venir du débat sur la notion et le contenu

des lois dites mémorielles).

Cette décision porte sur le problème de

l’indemnisation des rapatriés d’Algérie et

sur l’obstacle que constituent à leurs de-

mandes les déclarations gouvernemen-

tales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie,

dites « accords d’Évian » puisqu’elles sont

qualifiées par le juge administratif d’acte

de gouvernement insusceptibles de re-

cours et engager la responsabilité de l’État

sur le fondement de la faute. Elle est inté-

ressante à bien des titres.

Les requérants ayant aussi mis en cause

la responsabilité de l’État pour rupture

de l’égalité des citoyens devant les

charges publiques le Conseil d’État es-

time que les préjudices allégués par les

requérants ne trouvaient pas en l’espèce

leur origine directe dans le fait de l’État

français. C’est sur cette notion d’« origine

directe » des préjudices que le juge s’im-

misce ainsi dans ce qu’il nous dit être lié

ou pas aux attitudes de l’État français

suite à ces accords.

Un autre point est à souligner. Pour reje-

ter les demandes tendant à l’engagement

de la responsabilité de l’État sur le fonde-

ment du risque exceptionnel auquel au-

raient été exposés les requérants à raison

des « accords d’Évian », le Conseil d’État,

validant la position de la cour administra-

tive d’appel, estime que le juge ( ce n’est

pas nouveau) a le droit de ne pas s’estimer

lié par l’interprétation des stipulations de

ces accords donnée par le ministre des Af-

faires étrangères « et n’a pas commis d’er-

reur de droit dans celle qu’elle a retenue

ni entaché son arrêt d’inexacte qualifica-

tion juridique des faits en en déduisant

que la France n’avait pas exposé les requé-

rants à un risque exceptionnel de nature à

engager la responsabilité sans faute de

l’État ». Ici la qualification juridique n’est

pas loin de la qualification historique.

Enfin, le juge a eu à répondre à la question

de savoir si on peut arguer devant lui de la

faute que constituerait la promesse non

tenue par le législateur, ici le fait de

n’avoir pas adopté la loi prévue au troi-

sième alinéa de l’article 4 de la loi du 26 dé-

cembre 1961 relative à l’accueil et à la

réinstallation des français d’outre-mer. En

somme une promesse non tenue engage-t-

elle la responsabilité de l’État ou seule-

ment celle de ceux qui l’ont crue ?

La réponse du juge est implacable :

« Considérant toutefois que, le législateur

ne pouvant lui-même se lier, une disposi-

tion législative posant le principe de l’in-

tervention d’une loi ultérieure ne saurait

constituer une promesse dont le non-res-

pect constituerait une faute susceptible

d’engager, devant le juge administratif, la

responsabilité de l’État ». À l’heure de

proches échéances électorales, on invite le

citoyen à se souvenir de ne pas croire ce

qu’on lui promet. C’est consternant. Mais

lucide.

QUELLES NOUVELLES

DU DROIT PUBLIC ?

LIBRES PROPOS

QUAND LE JUGE ÉCRIT L’HISTOIRE ET MET EN GARDE LE CITOYEN

CONTRE LES PROMESSES QU’ON LUI FAIT

Quand le Conseil d’État vole au secours de l’oie cendrée et donne

une leçon de droit administratif