JDB N1 2020

LIBRES PROPOS considère que l’État n’a pas porté une atteinte grave et manifeste- ment illégale au droit au respect de la vie et au droit ne pas subir des traitements inhumains et dégradants et rejette (CE, ordon- nance 8 juin, n° 440701). LA QUESTION DE L’HYDROXYCHLOROQUINE A TRAVERSÉ DE NOMBREUX DÉBATS DEVANT LE JUGE Des requérants avaient demandé dès le début que soit ordonné à l’ARS Corse «de prendre sans délai les mesures nécessaires à la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromy- cine». À travers une grille d’analyse que l’on retrouvera dans toutes les décisions, le juge acte qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner les patients, vise les deux études chinoises, les recherches conduites à l’institut hospitalo-univer- sitaire de Marseille, l’essai clinique européen «Discovery», la dispensation par les pharmacies d’officine de la spécialité phar- maceutique Plaquenil®. C’est par rapport aussi à ce contexte mé- dical qu’est appréciée l’action de l’État dans chaque cas soumis au juge (voir notamment TA Bastia, ordonnance 3 avril 2020, n° 2000357°). Le juge des référés du TA de la Guadeloupe n’avait pas hésité à enjoindre au CHU et à l’Agence Régionale de Santé de la Guadeloupe « de passer commande des doses nécessaires au traitement de l’épidémie de Covid-19 par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, comme défini par l’IHU Méditerranée infection, et de tests de dépistage du covid-19, le tout en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel Guadeloupéen ». Décision vite cassée par le Conseil d’Etat (ord. 4 avril 2020, 439904). LA SITUATION PARTICULIÈRE DE CERTAINES POPULATIONS Le problème des centres de rétention et des étrangers a évi- demment été d’actualité avec, au cœur du sujet, les risques de contamination, d’où les demandes d’ordonner par exemple aux autorités médicales du CRA de Vincennes d’effectuer, entre autres, des tests covid-19 sur l’ensemble des retenus et per- sonnels, de communiquer les nouvelles consignes et contrats relatifs au nettoyage et fiches d’interventions de la société de nettoyage, de communiquer les preuves de commandes et de livraison de savon, gel hydroalcoolique, mouchoirs et serviettes à usage unique, masques chirurgicaux, gants et mise en place de points d’eau pour lavage régulier des mains dans les espaces communs. À cette occasion, le juge a posé le principe «qu’un étranger en situation irrégulière doit notamment faire l’objet d’une évaluation sanitaire avant toute décision de placement en rétention, et toute personne présentant une sensation de fièvre doit être isolée dans une pièce dédiée, se laver les mains, porter un masque chirurgical en présence d’autres personnes et faire l’objet d’une évaluation médicale dans les meilleurs délais. Si l’état de la personne semble préoccupant, le 115 doit être joint. En cas d’infection avérée, la personne peut être assignée à résidence si une hospitalisation n’est pas nécessaire, à l’exclusion de toute mesure d’éloignement» (TA Paris, Nos 2006287/9- 2006288/9- 2006289/9). La situation sensible des prisons a évidemment exigé des réponses rapides (voir par exemple CE, 7 mai 2020, au sujet de la prison de Ducos en Martinique). L’URGENCE ET L’ATTEINTE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE Dans la période d’état d’urgence sanitaire, le juge énonce qu’il appartient aux différentes autorités compé- tentes de prendre «en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie» et que «ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fon- damentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent» (voir CE 18 mai 2020, n° 440442, 440445). Rien de choquant, bien au contraire. C’est dans ce cadre ainsi posé que l’office du juge du référé liberté peut/doit se déployer. Le juge reprend dans ses différentes ordonnances sa grille clas- sique d’approche, bien connue des praticiens. On se contente ici de souligner comment le juge apprécie le caractère manifestement illégal de l’atteinte «notam- ment en tenant compte des moyens dont dispose l’auto- rité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises». L’URGENCE Classiquement, et sans étonnement, jugé que la condi- tion d’urgence a été regardée comme ne soulevant pas de difficulté en présence d’un danger actuel ou im- minent en lien avec l’épidémie de covid-19 (voir par exemple CE 22 mars 2020, n° 439674). L’urgence a été aussi retenue «Eu égard, d’une part, au nombre de per- sonnes susceptibles d’en faire l’objet et, d’autre part, à leurs effets, la fréquence et le caractère répété des me- sures de surveillance litigieuses créent une situation d’urgence (…)» (CE 18 mai 2020, 440442, 440445). Tou- tefois l’urgence n’a pas été retenue dans un cas il est vrai particulier, d’une fermeture d’établissement (TA Mont- pellier, n° 2001502, ordonnance 26 mars 2020). L’ATTEINTE AUX LIBERTÉS FONDAMENTALES Le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être sou- mis à des traitements inhumains ou dégradants, le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé ont été classiquement mobilisés devant le juge. Des requêtes ont invoqué aussi le principe de précaution, retenu par le juge du TA de la Guadeloupe dans son ordonnance précitée du 27 mars 2020. On re- tiendra surtout que le juge des référés du Conseil d’État a posé que l’action ou la carence de l’autorité publique s’agissant de la prévention de la propagation du covid- 19 est susceptible de créer un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale. Le référé liberté a été le levier procédural essentiel dans cette crise. Il a pu décevoir dans ses résultats, car au total peu de demandes ont abouti. On savait déjà en pratique, que le référé liberté est d’une efficacité rela- tive pour plusieurs raisons. La crise sanitaire a révélé ses limites encore. L’analyse critique de la jurisprudence a déjà commencé (voir notamment Paul Cassia, blog Me- diapart). Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’en priver. 59 1er SEMES TRE 2020 JOURNAL DU BARREAU DE MARSE I L LE

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