JDB N1 2020

j’ai eu la chance d’être aidé dès le début par mon épouse qui s’occupa de tous les dos- siers tels que divorces, accidents, loyers dont je ne pouvais m’occuper, et ce jusqu’à sa retraite, continuant même après de s’occuper de nom- breux dossiers. Elle le fit avec ma fille qui dès son arrivée au barreaum’a secondé dans les dos- siers prud’homaux, arrivant avec des connais- sances en matière de droit du travail et dans beaucoup d’autres domaines supérieures aux miennes, au début de ma carrière. Je fus aussi secondé par des collaboratrices et des collabo- rateurs qui m’ont aidé avec passion. Je pense leur avoir donné le gout du travail en plus de ce qu’ils ont appris. Aujourd’hui justement quel est ton regard sur le droit du travail?Qu’est-ce qui a changé en bien, ou au contraire en mauvais par rap- port à la pratique que tu avais? Je pense que ce qui a changé, c’est que l’on a voulu faire en sorte que le droit du travail soit règlementé d’une manière très stricte. C’est le premier point. On a créé une procédure prud’homale qui est une aberration parce que, pour engager une procédure devant le conseil de prud’hommes, cela devient un parcours du combattant, on vous donne un imprimé qu’il faut remplir, il y a dix pages, il y en a neuf qui ne servent strictement à rien. Faire une demande sur une feuille de papier, c’était parfait. Le sala- rié est perturbé quand il a ce document et qu’il faut le remplir. On peut me dire cela favorise le travail des avocats. Ça peut décourager aussi le salarié d’aller voir un avocat. Le droit du travail a évolué d’une manière qui n’est pas favorable à la compréhension des pro- blèmes, je crois que le droit s’éloigne de plus en plus et pas seulement en matière de droit du travail, de la réalité de la vie et des situations dans lesquelles se trouvent les salariés. Beau- coup de confrères disent que l’on veut, d’ailleurs les revendications actuelles portent aussi là-des- sus, faire disparaître les avocats. Je pense qu’effectivement la réforme prud’ho- male a pour but de faire disparaître les avocats ou de les rendre totalement inutiles, en ce sens que le rôle de l’avocat c’est de plaider, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Lorsque vous plaidez, vous pouvez expliquer et dire au juge attention c’est une situation spécifique, la loi est un cadre général, mais il faut tenir compte de la spécificité de la situation du sa- larié. Tout cela va disparaître. Quand j’entends parler d’intelligence artificielle, je suis réservé, car j’ai tendance à penser que l’on remplace le naturel par l’artifice, ce qui n’est pas rassurant. La procédure écrite est une aberration pour moi, car tout est fait pour complexifier ce qui est simple. Le tribunal puis la cour sont en pos- session des pièces et des conclusions, pourquoi si l’on veut faire simple demander aux avocats de déposer un dossier. Pourquoi les pièces et conclusions de 1re instance ne sont-elles pas transmises à la cour, ce qui éviterait une com- munication identique, puis de la cour d’appel à la cour de Cassation. On se demande quelques fois si les têtes pensantes pensent. Coluche disait dans un de ses monologues «Les tech- nocrates c’est des mecs, vous leur donnez le Sahara, 6mois après ils achètent du sable». Et je pense qu’il était en dessous de la réalité. Tu penses que ça va évoluer comme ça non seulement en matière prud’homale, mais de manière plus élargie? Je pense que le conseil de prud’hommes un jour ou l’autre va être supprimé, ça c’est certain. On va arriver à des magistrats professionnels. Il y a déjà dans la réforme prud’homale qui est intervenue une possibilité d’écourter les délais et de supprimer l’intervention du conseil de prud’hommes puisque si les deux parties sont d’accord, elles peuvent demander à plaider devant le juge départiteur directement dès la conciliation. Plus généralement, quel est ton regard sur l’évolution de la profession d’avocat au- jourd’hui? C’est difficile, car j’ai connu une profession ex- traordinaire, c’était facile, c’était agréable. Au moment où j’ai commencé c’est vrai c’était une profession misogyne, il n’y avait pas de femmes au barreau, sur les 400 avocats, il devait y avoir 25 ou 30 consœurs grand maximum. Dans la magistrature il n’y avait pas de femmes non plus. Les magistrats étaient encore plus misogynes que nous. Je me souviens d’une réflexion d’un magistrat, deux magistrates avaient été nom- mées à Marseille, atterré sur les marches du pa- lais qui m’avait dit :» vous vous rendez compte Maitre Guasco, il y a deux magistrats femmes qui viennent d’arriver, bientôt nous allons être envahis». D’un autre côté, on vivait d’une manière très simple. Je donne un exemple que j’ai vécu. J’ai plaidé un accident de la circulation assez grave à Belley dans l’Ain à la frontière suisse. Ce n’est pas à côté. Le lendemain matin de mon arrivée, je vais à l’audience pour plaidermon dossier. J’ar- rive à 8 h 30, portes closes. Ça commence un peu àm’inquiéter puis finalement vers 8 h 45, 9 h les portes s’ouvrent, le concierge me loue une robe puisqu’à l’époque on ne portait pas avec soi sa robe, le président étant arrivé je suis allé me présenter suivant les usages, là il m’explique qu’à Belley on attend que le courrier ait été distribué et que les avocats aient pu le lire avant de venir à l’audience. J’ai dit ça part bien et puis il me de- mande « pour quelle affaire venez-vous ? » Je lui dis voilà pour tel dossier. Il regarde etme répond « ce n’est pas à l’audience aujourd’hui.» Il cherche et me dit « ça vient la semaine prochaine, votre avoué s’est trompé. » Et là quand il voit que je suis atterré, il me dit « attendez Maître, pas de problème, je vais téléphoner à votre adversaire, il va venir » et il est venu, et j’ai pu plaider. Imaginez si ça vous arrive aujourd’hui vous revenez deBel- ley comme vous êtes parti Les magistrats qui arrivaient en retard s’excu- saient, c’était absolument extraordinaire. J’ai le souvenir un jour où j’étais en correctionnelle, d’avoir écouté Jean-Louis Pelletier qui plaidait pour un prévenu qui était poursuivi en correc- tionnelle et était en état de récidive légale. Les faits n’étaient pas contestés. La plaidoirie de Jean-Louis a été éblouissante. On ne peut pas plaider pendant 20minutes et être éblouissant dans un dossier comme celui-ci si on n’a pas un talent absolument extraordinaire et il l’avait et c’était très formateur d’assister à cette au- dience. Le tribunal se retirait et délibérait tout de suite. Les magistrats sont revenus et le pré- sident a dit au prévenu «Monsieur l’intention du tribunal était de vous infliger une peine de cinq ans de prison compte tenu des faits et l’état de récidive, après la plaidoirie de votre avocat, on ne vous inflige que deux ans » . Est-ce que tu as un message particulier à adresser aux lecteurs du Journal duBarreau? Tout ce que je viens de dire, c’est peut-être un peu pessimiste. Je pense qu’il faut que les avocats se souviennent qu’ils font un métier qui est un métier extraordinaire. Je crois que la défense de quelqu’un quoiqu’il ait fait ou dit c’est merveilleux. Pour moi, je dois dire que là où j’ai pris le plus de plaisir c’est au pénal et aux prud’hommes, tout simplement parce qu’on plaide pour des personnes qui peut-être quel- quefois n’ont pas toujours raison, mais je pense qu’on plaide pour des personnes, on plaide pour des principes et lorsqu’on défend des personnes et des principes c’est merveilleux. HISTOIRE & MÉMOIRE DU BARREAU 56 1er SEMES TRE 2020 JOURNAL DU BARREAU DE MARSE I L LE

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