JDB N1 2020

qu’il pouvait recevoir, s’il y avait une urgence, je recevais à sa place ou intervenais en urgence. Il m’a appris une règle dont je me suis toujours souvenu, à savoir qu’il valait mieux être ami avec les greffiers qu’avec les magistrats. Pour comprendre cette règle, il faut savoir que le fonctionnement de toutes les juridictions était différent de ce que l’on connait. En effet, le greffier du tribunal de grande instance, du tri- bunal de police, du conseil de prudhommes avait une charge comme au tribunal de commerce actuellement et les salariés n’étaient pas des fonctionnaires, mais avaient un statut de droit privé. Il en était de même pour les tribunaux d’instance qui étaient multiples avec à leur tête un greffier qui avait le même statut. Ces tribu- naux d’instance étaient disséminés sur la ville de Marseille avec une compétence territoriale qui devait être respectée. Comme la procédure devant le tribunal d’ins- tance nécessitait une tentative de conciliation obligatoire, on était obligé de se promener dans la ville, la robe sous le bras pour aller aux audiences. Par le greffier, on pouvait savoir quelle était la date la meilleure pour citer en conciliation et éviter de passer une après-midi à attendre. Toutes les procédures avaient un coût fixe suivant la juridiction saisie, sauf le conseil de prud’hommes où le coût variait suivant les tarifs postaux et le nombre de pages du jugement. En effet, il fallait régler la citation en conciliation puis au fond, quant au jugement le coût variait suivant le nombre de pages, étant précisé que l’on joignait au jugement les conclusions du de- mandeur et /ou des défendeurs, tant et si bien que l’on vous facturait vos propres conclusions. Toutefois, une chose est sûre, toutes ces juridic- tions fonctionnaient bien. Ayant repris mon activité en 1963 après deux ans en Algérie, où il me fut reprochémes inter- ventions devant le tribunal militaire, j’ai pris la suite du cabinet d’une consœur qui se retirait à Nice, et ce, contre l’avis deMarcGreco. J’ai dé- couvert le droit du travail. Cette consœur avait eu un cabinet très important en droit du travail, mais avait perdu de nombreux syndicats aumo- ment de lamaladie de sonmari qui devait décé- der. Deux syndicats, les industries chimiques et les ETAMdu bâtiment lui étaient restés fidèles. Mon travail fut facilité, car la jurisprudence bou- geait très peu, la chambre sociale étant présidée par Monsieur Laroque, qui tenait sa chambre d’une main de fer. Quant aux textes, il n’y avait aucune évolution importante. Comme il n’exis- tait aucun moyen informatique, les recherches ne se faisaient que sur le JurisClasseur, ce qui était manifestement insuffisant. Je ne connaissais rien du droit du travail, mais ce n’était pas difficile d’apprendre. LeCode du tra- vail faisait en épaisseur aumaximumdeux centi- mètres. L’article le plus important était l’article 29 O, devenu par la suite L 122-12 puis 1224-1 duCode du travail, ce qui permet de voir la pro- fusion de textes depuis. Le premier dossier que j’ai plaidé était une contestation électorale. Le tribunal avait or- donné une expertise et malheureusement le rapport d’expertise n’était pas très favorable. La réunion d’expertise s’était déroulée à la bourse du travail et quand je suis arrivé, j’ai compris au regard du secrétaire du syndicat qu’il aurait pré- féré la présence deMe Rees à lamienne, quand l’expert a déposé son rapport, c’était avant les vacances et ce rapport était entièrement défa- vorable. J’ai emporté en Corse toute la docu- mentation que je pouvais, toujours est-il que ce 1er procès fut gagné. De ce jour-là, je fus pour Monsieur Marseille non pas un Dieu, mais un avocat en qui il avait toute confiance et j’ai eu avec ce dernier d’ex- cellents rapports. C’était un syndicat très im- portant, car il y avait énormément d’entreprises de produits chimiques et pétroliers et qu’à la différence de maintenant, vous n’aviez pas des syndicats d’entreprises, vous aviez un syndicat à la bourse du travail qui regroupait toutes les entreprises et les décisions étaient prises à la bourse du travail. Les contacts que j’ai eus avec ce dernier, me permirent d’être en contact avec tous les syndicats qui y étaient réunis, ainsi qu’avec les secrétaires successifs de l’UnionDé- partementaleCGT des Bouches-du-Rhône. Le 2e dossier était un dossier devant la Cour, le procès concernait les chantiers navals de LaCio- tat, il avait été engagé parMeRees il concernait à peu près 200 salariés des chantiers navals qui avaient été licenciés à la suite d’une grève. M° Rees avait engagé les procédures avec des dossiers pilotes et avait mis en stand-by la plus grande partie. En effet, c’était une règle, les délais pour passer devant la cour étaient très courts, ce qui fait que l’on savait ce que valaient les autres dossiers. Je ne savais pas ce qu’étaient les délégués du personnel, les comités d’entreprise, ni la grève. Le seul principe connu était la règle de droit : le licenciement est abusif dans lamesure où il pro- cède d’une faute de l’employeur, de la légèreté blâmable de l’employeur, de l’intention de nuire de l’employeur, autant de notions qu’il est diffi- cile de prouver. J’ai eu la chance de gagner ces dossiers pilotes, la cour jugeant que ces licen- ciements étant intervenus à la suite de grèves, ces licenciements étaient liés à cette grève et donc sanctionnaient cette participation. Après cette décision, mon adversaireMeOlivierMau- rin m’a téléphoné pour me dire que ses clients ne feraient pas de pourvoi en cassation et qu’ils étaient d’accord pour transiger sur les dossiers en attente, que l’on pourrait faire désigner d’un commun accord un expert pour chiffrer le pré- judice, et ce aux frais des chantiers. J’avais eu peu de contacts avec le chantier naval de la Ciotat. J’ai pris contact avec le syndicat et, ayant obtenu son accord et celui des salariés concernés, le dossier fut réglé amiablement. De ce jour, j’ai plaidé pour le syndicat y compris après la fermeture de l’entreprise, notamment pour les dossiers amiante. Il est certain qu’après ce fut plus facile de plaider pour la CGT. J’ai eu en plus la chance de travailler avec des syndica- listes qui ont eu un profond respect pour leur avocat et qu’ils m’ont considéré comme un ami. J’ai eu à à gérer de nombreux conflits. J’ai dû intervenir contre RTM pour un conflit qui dura près de 2mois ou on plaidait toutes les semaines des procédures engagées par la direction, les grèves des marins de la SNCM, grèves des doc- kers au moment de la modification du statut, conflit à la CPAM contre le directeur Mon- sieur Lucet, conflit dans la réparation navale au moment ou de nombreuses entreprises durent être fermées. Tout cela a nécessité beaucoup de travail et de disponibilité, l’arrivée du portable m’a amené à recevoir samedi et dimanche et à préparer des référés le dimanche pour le lundi. Heureusement que je n’étais pas seul, HISTOIRE & MÉMOIRE DU BARREAU Je ne connaissais rien du droit du travail, mais ce n’était pas difficile d’apprendre. Le Code du travail faisait en épaisseur au maximum deux centimètres. 55 1er SEMES TRE 2020 JOURNAL DU BARREAU DE MARSE I L LE

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