JDB N1 2020

52 1er SEMES TRE 2020 JOURNAL DU BARREAU DE MARSE I L LE (rires) de venir à Marseille pour plaider le dossier. C’était une anecdote révélatrice que tout peut arriver. Camille Giudicelli m’a demandé de tra- vailler sur des dossiers importants, et je l’en remercie encore, notamment l’affaire Guérini, la grande affaire de Marseille en 1970. J’étais tout jeune avocat. Je n’ai pas plaidé, j’étais assis entre Émile Pollak et René Floriot, avec tous les ténors du bar- reau, Jacques Isorni, etc. Je suis d’une époque où il était inconcevable de ne pas avoir d’activité bénévole à côté de son activité principale. Je me suis orienté vers ce qui n’existait pas encore à Marseille, en 1972-1973, le syndicat des avocats de France. On avait été sensibilisés par l’affaire Klaus Croissant, un avocat qui défendait La Bande à Baader, des gauchistes alle- mands. Cet avocat avait été arrêté et nous avons manifesté notre solidarité. Nous nous sommes cotisés pour acheter une gerbe et la lancer dans la fontaine de la place Monthyon avec une inscription « à la liberté défunte ». Manque de chance, la nuit précédente il avait gelé et Gérard Bismuth a failli se casser la jambe parce qu’il n’avait pas vu qu’il y avait de la glace (rires). Il y avait un grand lieu de convivialité entre avocats, greffiers et magistrats, qui a disparu, c’était la cantine du palais. Elle se situait au rez-de-chaussée du palais Monthyon. On tra- versait en robe, sans arrêt, la rue Fortia pour aller du tribunal correctionnel au tribunal de grande instance ou au tribunal d’instance. L'Ordre avait un cabinet secondaire parce que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie avait toujours comme avocat le bâtonnier en exercice. En 1966, la CARSAM venait d’être mise en place et il fallait des finances pour l’Ordre qui provenaient notamment des honoraires que versait la Caisse Pri- maire. Le cabinet secondaire était tenu par deux confrères, Jacques Peretti et Janine Duclos, collaborateurs de l’Ordre. Quel est ton regard sur l’évolution de la profession puisque, quand tu as prêté serment, vous étiez environ deux-cent- cinquante avocats, et aujourd’hui nous sommes presque deux-mille-cinq-cents à Marseille ? Mon regard actuel ne peut pas être celui que j’avais lorsque je me suis inscrit au barreau. Ce qui est motif de très grande satisfaction d’abord, c’est notre présence : nous avons quand même toujours le même moule, les mêmes fondamentaux qui sont l’intérêt des nôtres, le fait d’avoir une activité non rému- nérée par rapport à notre activité, de nous intéresser, de partager les expériences. Ensuite, je fais une distinction entre longé- vité et expérience. À l’époque, on pouvait parler d’expérience, parce que la société n’avait pas tellement changé. À l’heure ac- tuelle, pour le confrère de mon âge, il serait très imprudent de sa part de parler d’expé- rience, voire présomptueux et téméraire. Je préfère parler de longévité, parce que les temps ont changé. Notre époque s’est com- plexifiée, c’est un constat. Il est normal que la profession d’avocat se soit adaptée. C’est pour moi un motif de satisfaction. Maintenant, je serais enclin à la nostalgie sur un point. Le rôle d’un avocat est de trans- former un combat entre deux personnes en un débat entre deux arguments. Pour cela, il faut du temps, une confidentialité. Je re- grette l’immédiateté, l’accélération et le caractère impersonnel des relations profes- sionnelles générées par le numérique. Et le nombre d’avocats ? Le nombre, c’est un regret, mais ce n’est pas fondamental parce que je suis contre le numérus clausus. Je ne peux pas dire : on est trop nombreux. Les difficultés peuvent être résolues par la compétence, le travail et une autre approche de la gestion d’un cabi- net. J’appartiens à une génération où cette gestion était une péréquation dans sa tête. Les dossiers intéressants compensaient les dossiers déficitaires. La facturation n’exis- tait pas. À l’heure actuelle, c’est la factu- ration à la vacation, à l’acte, l’établissement de la convention d’honoraires, etc., qui permettent aux confrères de compenser l’inconvénient résultant du nombre. Je n’ai jamais rencontré un avocat qui ne vive pas de sa profession. Le message que je voudrai donner c’est « op- timisme » parce que de nouveaux conten- tieux sont apparus, la formation est en adéquation avec la société. Notre profession a été préservée dans sa déontologie. Il n’y a qu’à voir le phénomène de retraite actuelle : une solidarité exemplaire. Aujourd’hui tous les barreaux sont unis dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Quel regard portes-tu justement sur cette mobilisa- tion nationale qui semble historique et sans précédent ? Je porte un regard de satisfaction alors que ça ne me concerne pas à titre individuel. Pourquoi ? Parce que nous avons un sys- tème de retraite qui est compétitif, où les actifs sont plus nombreux que les retraités. Je ne vois pas pourquoi, au nom d’une pré- tendue universalité, on va se mettre dans un système qui va nous absorber et nous ruiner. On peut faire intelligemment une réforme des retraites sans toucher au caractère au- tonome de notre caisse. Je redoute la dispa- rition des cabinets individuels et de l’avocat de proximité. La question peut se poser de savoir si les re- traités actifs, dont je fais partie, ne prennent pas la place d’un jeune confrère. Je ne pense pas. Mais ça me permet d’exister, parce que notre robe, c’est un bouclier. Nous avons une profession qui se conjugue encore avec situation et, au sens étymologique du terme, on est situé en tant qu’avocat. Pour moi, ça fait partie de mon équilibre. Les rares fois où j’ai été tenté de prendre ma retraite vé- ritablement, j’ai fait un test extraordinaire : c’est la date de renvoi. Je mettais mis dans la tête de prendre ma retraite fin 2007. Ren- voi janvier 2008. Je me suis dit « Je ne serai plus en robe, ce n’est pas possible ». Est-ce que vous auriez en mémoire un ou deux moments forts du barreau pour lesquels vous vous seriez dit « je suis fier d’appartenir à cette famille » ? Le premier, c’est en mai 1968. Le bâton- HISTOIRE & MÉMOIRE DU BARREAU Le rôle d’un avocat est de transformer un combat entre deux personnes en un débat entre deux arguments.

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