Journal du Barreau de Marseille
numéro 2 - 2016
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Lesnouvellesdispositions légales, deplus enplus
permissives enmatière d’introductionau capital
des cabinets d’avocats de sociétés d’investisse-
ment ne vont-t-elles pas accélérer le phénomène
d’uberisation?
Même si la Loi Macron a largement libéralisé l’interpro-
fessionnalité d’exercice et l’interprofessionnalité capitalis-
tique, l’accès au capital social de nos sociétés d’exercice
n’est ouvert qu’aux seules professions réglementées du
droit et aux experts-comptables. La conséquence de cette
situation nouvelle est que seules les professions disposant
déjà de réseaux structurés et de capitaux propres impor-
tants peuvent en profiter, ce qui revient à constater que
les réseaux interprofessionnels s’organisent aujourd’hui
autour des grands cabinets du chiffre qui s’adjoignent les
services de cabinet d’avocats en les incluant dans leurs ré-
seaux et non l’inverse. Notre profession va ainsi perdre de
son poids économique et de son influence, en payant des
années de tergiversation autour de ces questions d’inter-
professionnalité et d’ouverture du capital de nos cabinets.
Il y a encore dix ans, nous aurions pu bâtir une interpro-
fessionnalité raisonnée et progressive, au lieu de la subir
dans la logique de la directive Services (3) qui a contraint
la France à réformer brutalement les structures libérales
pour ne pas risquer de faire l’objet d’une procédure en
manquement devant la Commission européenne.
Sous cet angle, la faiblesse économique de la plupart des
cabinets et notre individualisme est effectivement un fac-
teur aggravant de nos difficultés face à la concurrence
des legals-ups. Mais une grande majorité de la profession
est encore hostile à toutes ces évolutions. Pourtant, quoi
que nous en pensions, la question n’est pas de savoir si
l’ouverture du capital de nos structures ou l’avocat en en-
treprise se feront mais quand ces réformes se feront. Ti-
rons les leçons de la Loi Macron et prenons notre avenir
en main sinon nous subirons. Car pendant ce temps les
legals-ups augmenteront la performance de leurs logi-
ciels, la qualité de leurs offres et leur force économique. Il
nous faut des mois, sinon des années de procédure pour
parvenir à interdire certaines pratiques de ces sociétés,
infiniment plus réactives et créatrices que notre profes-
sion. Donnons-nous les moyens de les concurrencer, ce
qui est tout à fait possible sans y perdre notre âme. Je ne
crois pas être un utopiste en affirmant cela depuis long-
temps et je forme l’espoir que les avocats et les institu-
tions de notre profession comprendront que la réaction
doit être forte et rapide.
Dans la même idée, n’est on pas en train d’assis-
ter à une véritable fracture entre des avocats qui
réussissent à prendre un virage à la fois numé-
rique et capitalistique et les autres, condamnés à
traiter des contentieux peu rémunérateurs ?
Mais les avocats intervenants en judiciaire, dont une part
importante du chiffre d’affaires est réalisée sur des dos-
siers aidés, sont au contraire les premiers concernés par
cette mutation de notre métier qui constitue pour eux
une véritable opportunité. Interrogeons-nous sur les be-
soins de notre clientèle, sur les nouveaux services à leur
proposer, sur la façon d’échanger avec eux. Il n’y a en la
matière aucune fatalité, simplement une méconnais-
sance des enjeux et des solutions possibles. Pourquoi un
avocat faisant du divorce ou du petit contentieux de la
consommation ne pourrait-il pas disposer d’outils nou-
veaux pour exercer son métier autrement ? Rien n’inter-
dit à un avocat de constituer un réseau, une association
ou un GIE pour rechercher avec d’autres confrères exer-
çant dans les mêmes domaines et avec les mêmes
contraintes, des solutions mutualisées. Les statistiques an-
nuelles de l’ANAAFA qui rendent compte de l’évolution
économique des plus petits cabinets, montrent l’intérêt
de se regrouper pour partager le coût d’un loyer ou d’un
photocopieur performant. Faisons des SCM ou des GIE et
groupons-nous pour partager des solutions numériques,
c’est la même logique.
Et puis sachons inventer et innover, ce qui n’est pas ré-
servé aux grands cabinets d’affaires. Notre confrère Anne-
Constance Coll propose ainsi des prestations forfaitisées et
a passé un accord avec une banque pour permettre à ses
clients de régler les honoraires en 10 échéances men-
suelles sans frais, en prenant à sa charge les intérêts de ces
prêts. Elle s’adresse à des particuliers ou à des TPE qui
peuvent ainsi recourir à ses services à des conditions fi-
nancières supportables. D’autres sont des pionniers dans
la consultation en ligne, dans des conditions parfaitement
respectueuses de notre déontologie. Ce sont le plus sou-
vent des confrères exerçant à titre individuel qui se sont
simplement demandé comment ils pouvaient aller au-de-
vant de leurs clients pour mieux répondre à leurs attentes
et les fidéliser. Les avocats sont des entrepreneurs libé-
raux, il faut juste qu’ils osent entreprendre, en regardant
nos règles déontologiques comme un avantage concur-
rentiel et non en frein à leurs projets numériques.
RÉVOLUTIONS NUMÉRIQUES
ET INNOVATIONS DES AVOCATS
DOSSI ER
[1] Voir sur cette question le livre remarquable de Thierry Wickers « La grande transformation des avocats » aux éditions Dalloz
[2]
http://avocats-actions-conjointes.com/[3] Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur